Aujourd’hui, guidés par les lumières de Didier Travier, #conservateur au Carré d’Art à Nîmes, nous vous proposons de partir à la découverte d’une gravure de la propagande réformée à la longue postérité ⤵️

La Réforme est intimement liée au développement de l’imprimerie qui renouvelle les accès aux textes bibliques. C’est d’autant plus vrai qu’elle se joue aussi sur un plan médiatique et que, dès 1517, une véritable propagande se met en branle.
La #gravure que nous allons découvrir aujourd’hui est une estampe hollandaise du 17e siècle, de Rombout van den Hoye, qui utilise un motif – la balance – à l’histoire particulièrement riche.

Symbole de Justice, la balance est souvent associée à la force du glaive et au bandeau de l’impartialité, comme ici, à Berne, sur la fontaine de la Justice (1543).

Au cours des 16 et 17e siècle, ce symbole se diffuse dans les livres d’emblèmes qui l'utilisent comme opérateur de comparaison entre deux termes, qu’il s’agisse de démontrer une égalité, comme celle des simples et des rois devant la mort (la Perrière, Morosophie, 1543)

…ou une supériorité : celle de la plume et des lauriers du poète sur sur le canon (Henry Peacham, Minerva britanna, 1612)…

…de la sagesse sur la folie (Daniel Meisner, Thesaurus philo-politicus, 1625-26)…

ou, plus religieusement, de l’Agneau de Dieu sur le Malin, comme ici sur le tympan de la cathédrale d’Autun.
C’est dans cet esprit que Van der Hoye utilise ce motif. Sur un plateau, l’église catholique, symbolisée par les clefs de Saint-Pierre, la tiare pontificale, un livre liturgique et Alonso de Castro, moine franciscain, actif contempteur de la Réforme lors du Concile de Trente.

De l’autre côté, seulement la Bible, illustration explicite du « sola scriptura » protestant qui ne reconnaît que l’unique autorité de la Bible.

Mais la mise en balance des deux théologies n’est pas le seul élément de discours de cette gravure qui met également en image les principaux acteurs de cette confrontation et participe ainsi d’une certaine dimension historiographique.
Du côté des catholiques, c’est une véritable représentation des composantes de l’Église. On reconnaît un pape, en l'occurrence Pie IV (1499-1565) qui ouvre la dernière séance du Concile de Trente en 1562.

…un dominicain en prière, avec son capuce noir, sans doute Sylvester Mazzolini (1456/57-1527), réputé être le premier controversiste public de Luther…

…saint François d’Assise (tentant de peser sur la balance), deux cardinaux, reconnaissables au galero (dignitaires de l’Église, ils entourent le Pape)…
… un pèlerin de Saint-Jacques reconnaissable à sa coquille (à sa ceinture et sur son chapeau) et son bourdon (* long bâton de marche, ferré à sa base et surmonté d’une gourde)…

…un jésuite, en la personne d’Ignace de Loyola, fondateur de l’Ordre activement engagé dans la Contre-Réforme, ainsi qu’un évêque et un enfant de chœur.
Du côté protestant, c’est une galerie des principaux personnages de la Réforme. La symbolique des chiffres est à relever : onze réformateurs sont présents, autant que les apôtres après soustraction de Judas !

On remarquera en particulier Luther…

…Calvin….
ainsi que le pré-réformateur John Hus, à gauche des autres puisqu’il les précède chronologiquement.
Une intelligente trouvaille, empruntée à une gravure de Carel Allardt, permet même de multiplier le nombre de réformateurs présents.
Au cours du temps, la gravure de Rombout van den Hoye va connaître une postérité certaine. La vie des gravures est souvent une histoire trépidante de réutilisation, de copie, d’adaptation à d’autres contextes : explorons-en quelques exemples particulièrement remarquables ⤵️
1. Les modifications de la gravure originale peuvent servir différents buts, comme s’adresser à un nouveau public à l’image de cette copie destinée à un public populaire de Huijch Allardt.

Ici, les modifications concernent tant le format (plus petit, donc plus économique) que le contenu : les réformateurs sont numérotés pour faciliter la lecture et des objets de la piété commune (reliquaire, crucifix) ont été mis sur la balance…
…et une nonne est ajoutée. La volonté d’atteindre un public féminin ?

Cette interprétation est d’autant plus crédible que le modèle même de la balance a changé : d’une balance de marchandise (en haut), la nouvelle version représente une balance de précision comme celle du célèbre tableau de Vermeer, La femme à la balance.
2. Les modifications de la gravure peuvent également servir à s’adresser à d’autres espaces géographiques, comme dans cette gravure genevoise de P. Magiter, où l’identification des réformateurs change pour mettre les noms de réformateurs calvinistes (Bèze et Marot).

Une autre version dessinée de cette gravure va jusqu’à modifier le visage d’un personnage pour ajouter à ce panthéon le réformateur zurichois Ulrich Zwingli.
3. Les modifications peuvent également chercher à expliciter le sens de la gravure : ainsi P. Magiter ajoute un petit diable, tandis que Jochem Bormeester, père ou fils, ajoute un grelot de fou au bonnet de saint François.
On pourrait suivre encore longtemps la postérité de cette gravure : les plus curieux en retrouvons l’histoire détaillée dans cet excellent article de Didier Travier, au volume 90 (2017) des Mémoires de l’Académie de Nîmes, à retrouver sur leur site.
L’histoire du motif de la balance permet ainsi de mettre en lumière la mobilisation de l’image dans l’histoire protestante, thème auquel la bibliothèque du Carré d’Art à @nimes dédiait une exposition en 2017…
…tout en fournissant une étude de cas passionnante sur la vie des gravures !
Originally tweeted by Résidences (@ResidencesArt) on 2 février 2021 and on 3 février 2021.